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Éloge de la Fourme de Montbrison par Jean-Louis MEYZONNETTE (promo 1968)

Vie des Alumni (accès libre)

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10/09/2025

« Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forez qui, dans sa petitesse, contient ce qu’il y a de plus rare au reste des Gaules »

Honoré d’Urfé, « L’Astrée », 1607


Pourquoi un article sur la fourme de Montbrison ?

Ayant découvert la « fourme de Montbrison » grâce à notre regretté camarade et ami André Roussel (68), Christine avait à cœur de faire découvrir, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, ce délicieux fromage trop méconnu, et elle m’a demandé si je voulais bien rédiger quelques mots sur la fourme de Montbrison, ma ville natale. J’ai bien sûr répondu positivement à sa requête, tout en rappelant que Montbrison peut s’enorgueillir d’autres notoriétés : son riche passé de capitale du Forez ; des personnages tels que Pierre Boulez, dont on célèbre cette année, dans le monde entier, le centième anniversaire de la naissance ; Muriel Robin (enfant, je passais chaque jour devant le magasin de chaussures de ses parents, qui se trouvait sur mon chemin de l’école primaire) ; ou Mickey 3D, qui a débuté à Montbrison :  ils représentent en quelque sorte pour Montbrison ce qu’Alain Aspect et Francis Cabrel représentent pour Astaffort ! Je ne peux pas manquer de citer aussi le marché de Montbrison, qui existe sans interruption depuis près de neuf siècles (il est mentionné pour la 1° fois en 1130) ? Il a été élu « le plus beau marché de France » en 2019, titre qu’il a conservé en 2020 (le concours ayant été annulé pour cause de Covid).

Pour en revenir à notre fourme, il me faut remonter quelques années en arrière, lorsqu’André « montait » de Saint-Étienne à Palaiseau pour participer aux Conseils d’Administration de SupOptique Alumni. Dès sa retraite, il avait quitté Bordeaux pour revenir dans sa région stéphanoise. En amateur de la fourme de Montbrison, Il avait, avec son épouse Jacqueline, retapé magnifiquement une ferme dans le hameau « La Griotte » du village de Roche-en-Forez (photo 1), qui est au centre de la région de production de cette fourme. Pendant très longtemps, Roche-en-Forez a d’ailleurs été à l’origine du nom « Fromage de Roche » qui était donné à ce que l’on dénomme maintenant « fourme de Montbrison », car à l’époque, la ville de Montbrison ne se trouvait impliquée dans le circuit des fourmes que par le biais de son marché, là où les paysans des villages environnants venaient les vendre.

Photo 1 -  Jean-Louis et André chez André et Jacqueline à la Griotte (Roche-en-Forez) 

Ainsi, comme il a été mentionné plus haut, André a su convertir Christine à cette fourme, mais aussi, avec elle, un certain nombre de membres du CA (je ne citerai pas de noms ici), de sorte qu’il se présentait assez souvent aux réunions avec, dans son sac à dos, les parts de fourme qui lui avaient été commandées. Après le décès d’André en 2020, je me suis senti investi de sa mission, et c’est pourquoi, chaque fois que nous projetons, mon épouse et moi, de nous rendre à Montbrison, je ne manque pas de le signaler aux amateurs de fourme du CA. Généralement, nous revenons à Orsay avec 3 fourmes dans la voiture, nos quatre enfants et leurs familles en profitant aussi. Je dois dire que les employés de la « Fromagerie de Montbrison » nous connaissent bien dorénavant, et nous voyons leur visage s’illuminer dès que nous franchissons la porte de leur magasin, car nous ne sommes pas ce qu’on pourrait appeler des clients « classiques » (les achats les plus courants concernent un huitième ou un quart de fourme).

Histoire de la fourme de Montbrison 

La fourme (de Montbrison ou d’Ambert) est certainement l’un des plus anciens fromages de France dans la catégorie des fromages au lait de vache, à la pâte persillée non pressée et non cuite : certains prétendent qu’elle était déjà sur la table des Arvernes et des Ségusiaves (peuple Gaulois habitant le Forez) quand Jules César s’est invité chez Vercingétorix, mais sincèrement, on manque encore de preuves à ce sujet, Jules n’en faisant pas mention dans ses commentaires du « de Bello Gallico ». Par contre, il est avéré que la fourme a été fabriquée sous une forme voisine de l’actuelle à partir du 12ème siècle : elle apparaît par exemple sur la façade de l’église romane casadéenne (i.e. sous la tutelle de l’abbaye de La Chaise-Dieu) du petit village de La Chaulme, à la limite entre les départements de la Loire et du Puy de Dôme, et à égale distance d’Ambert et de Montbrison ;  l’une des sept pierres à dîme sculptées au-dessus du fronton de cette église (photo 2) la montrent en effet comme faisant partie, dans ce village, des produits fermiers soumis à la dîme (impôt à destination du clergé, réactivé par Charlemagne puis supprimé à la révolution), au même titre que le beurre, le saucisson, les céréales, les œufs, le  jambon, et le foin.  

Photo 2 - Façade de l'église de La Chaulme avec les sept pierres à dîme sculptées 

Les fourmes de Montbrison et d’Ambert, proviennent de la collecte du lait de vache effectuée sur certaines zones, d’altitude supérieure à 700 m environ, sélectionnées à l’intérieur du Parc Naturel Régional du Livradois-Forez, parc de moyenne montagne à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Saint-Étienne. Celle de Montbrison provient essentiellement de pâturages situés dans la partie ligérienne (département de la Loire) du Parc et celle d’Ambert essentiellement de pâturages situés dans le Puy de Dôme.

Si la fabrication de la fourme est attestée depuis le haut moyen âge comme l’un des produits de la ferme dans les villages des monts du Forez, il faut attendre le 18° siècle pour que commencent à apparaître, sur les plateaux des « Hautes Chaumes », des bâtisses appelées « Jasseries », dédiées spécifiquement à la fabrication de ce fromage (photo 3). Alors que les hommes et les garçons restaient aux villages, en contrebas, pour les travaux d’été, les paysannes (et leurs filles) conduisaient les troupeaux à l’estive, sur ces plateaux, entre 1100 et 1400 m d’altitude, et y demeuraient de juin à octobre pour y fabriquer la fourme, suivant un processus qui n’a pratiquement pas changé depuis. Ces jasseries, qui servaient d’habitation et de cave pour ces femmes, et d’étable pour les vaches, existent encore pour certaines d’entre elles, mais elles ne sont actuellement plus utilisées pour la fabrication de la fourme. La plupart ont été transformées en gîtes ruraux et/ou en auberges, dans lesquels les citadins (Foréziens et Stéphanois pour la plupart) se rendent en été pour y déguster les excellents produits et plats issus du terroir local (saucissons, jambons, fourmes, raclettes et fondues à la fourme, gratins, patia,…), ou aussi pour s’y reposer et échapper aux chaleurs de plus en plus étouffantes de la plaine du Forez ou des villes.

Photo 3 - Exemple de Jasserie dans les Hautes Chaumes

Mode de fabrication de la fourme de Montbrison

Il faut entre 20 et 25 litres de lait de vache (Montbéliarde, Prim’Holstein, Abondance, Brune, Ferrandaise), pour fabriquer une fourme de Montbrison de 2,5 kg environ. Le lait collecté dans les fermes labellisées est transféré dans des cuves chauffées entre 32°C et 34°C, dans lesquelles sont ajoutés les ferments lactiques, le « Penicillium Roqueforti » (à l’origine du bleu du persillage), ainsi que la présure, qui donne au lait la consistance d’un flan : c’est la phase du « caillé ».

Ce caillé est découpé en petits dés, qui, après être salés, sont répartis dans des moules cylindriques, de 20 cm de haut et de 14 cm de diamètre (phase du moulage). Le sel représente environ 1,6% de la masse, ce qui fait de la fourme de Montbrison l’un des bleus les moins salés. Une fois égouttées, les fourmes sont démoulées et placées à l’horizontale sur des chéneaux en écorce d’épicéa sur lesquels elles restent 6 jours en étant retournées à la main d’un quart de tour toutes les douze heures (égouttage).  Les chéneaux (photo 4) assurent un bon maintien de la fourme et confèrent à la croute sa couleur mordorée, ce qui la distingue de la couleur, grise, de la fourme d’Ambert (autre différence : la fourme d’Ambert est salée non pas dans la masse, mais en surface, dans la phase ultime du moulage).

Photo 4 - Fourmes sur chêneaux en écorces d'épicéas

Les fourmes sont ensuite piquées en de multiples endroits à l’aide de longues aiguilles d’acier inoxydable pour permettre à l’air de pénétrer jusqu’au cœur et créer ainsi les veines bleues caractéristiques de ce type de fromage (Piquage). Finalement, les fourmes sont affinées pendant un à trois mois, en position verticale, dans des caves d’affinage, à une température comprise entre 8°C et 12°C et avec une hygrométrie maximale (l’une de ces caves d’affinage est un ancien tunnel ferroviaire désaffecté, près de Roanne).

Appellations / Labels

En 1972, les fourmes d’Ambert et de Montbrison avaient été réunies sous une appellation d’origine Contrôlée (AOC) commune, sous le nom de « Fourme d’Ambert et de Montbrison », puis en 2002 chacune a reçu son propre label européen d’Appellation d’Origine Protégée (AOP). En 2018, la fourme de Montbrison a été couronnée par son inscription au patrimoine culturel immatériel national de l’UNESCO. La fourme de Montbrison peut être consommée en dés, en râpée, en tranches, froide ou chaude ; en tranches, c’est la « coupe à la Forézienne » qui est la plus appréciée dans la région stéphanoise, et qui consiste à la couper horizontalement en commençant par le haut du cylindre posé verticalement (photo 5).

Photo 5 : découpe de fourme "à la forézienne

 (Couverture du livre "40 recettes de cheffes et chefs du Forez")

La zone AOP de la fourme de Montbrison couvre le terroir de 33 communes, essentiellement dans le département de la Loire, concerne 58 fermes et 7 producteurs, ou « fourmiers ». Le cahier des charges de l’AOP stipule que les vaches doivent pâturer l’été au minimum 150 jours en estive, le reste de l’année sur les prés des communes agréées et l’hiver, elles doivent être nourries au foin local.

La production annuelle de fourme de Montbrison est de l’ordre de 700 tonnes, soit à peu près 10 fois plus faible que celle de la fourme d’Ambert (environ 7000 tonnes), qui collecte son lait sur une surface beaucoup plus importante, sur le Puy de Dôme et le nord du Cantal. Sa consommation est par conséquent beaucoup plus locale (Loire et région stéphanoise essentiellement) que celle de sa grande voisine. On la trouve tout de même aux menus de chefs étoilés : Michel Troisgros à Roanne (« Omelette soufflée à la fourme de Montbrison »), Pierre Gagnaire à Paris (« Fourme de Montbrison et oignons doux des Cévennes »), ….

Conclusion

Si vous avez la chance de séjourner dans le Forez, n’hésitez pas à passer à Sauvain (photo 6), autre village emblématique de la fourme de Montbrison (voir la rubrique de François Morel en annexe) pour visiter son musée de la fourme, dans lequel sont exposés les différents stades de sa fabrication ; par ailleurs, les marches dans les bruyères et les tourbières des hautes Chaumes sont des plus revigorantes. Pour ma part, j’aimais beaucoup marcher (c’est devenu un peu plus difficile pour moi aujourd’hui) le long de la partie forézienne du sentier de grande randonnée GR3, celui qui suit la Loire depuis le Gerbier de Joncs jusqu’à Guérande et La Baule (photos 7 et 8). Il emprunte, au sud des Hautes Chaumes, un ou deux kilomètres encore dallés de la voie bolène, l’une des voies qui, au temps des Romains, reliaient Lugdunum à l’Aquitaine et Burdigala. Il faut absolument grimper jusqu’à Pierre-sur-Haute, le point culminant des Monts du Forez, d’où l’on peut apercevoir par temps clair (et si la région Lyonnaise n’est pas polluée) le Mont Blanc et la chaine des Alpes (photo 9), éloignés de plus de 200 km (photo). Par ailleurs, je recommande aux cyclistes la montée au col du Béal (1400 m) en venant soit de Montbrison (altitude 350 m), soit d’Ambert. Il a figuré dans des étapes des tours de France, masculin 2020 et féminin 2025. Enfin, je me dois de mentionner les « journées de la fourme », qui ont lieu chaque année à Montbrison pendant la première semaine d’octobre, pour leur ambiance, les dégustations de produits locaux, et la course à pied de 40 km entre Montbrison et Ambert (d’autre distances, plus humaines, sont proposées).


En haut : A g. photo 6 - Le village de Sauvain / A dr. photo 7 - Promenade d'été en famille sur le sentier de grande randonnée GR3 dans les Hautes Chaumes 

En bas : A g. photo 8 - Promenade sur le GR3 au début du Printemps / A dr. photo 9 - Vue du Mont Blanc et des Alpes (au-dessus des Monts du Lyonnais) depuis les Hautes Chaumes, au lever du jour

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Le Billet de François Morel  : "Sauvain, ça devient Chicago"

 (Vendredi 14 février 2020 à 8h50 par François Morel)

https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-francois-morel/le-billet-de-francois-morel-14-fevrier-2020

"L’un des plaisirs de la vie de tournée, c’est, pour moi, la lecture de la presse régionale. 

On y découvre des informations qui ne sont pas forcément relayées nationalement. Ainsi, dans La Tribune le Progrès, datée du 13 février 2020, j’ai appris que Sauvain, 410 habitants, commune du département de la Loire jusque-là réputée pour sa sérénité, sa qualité de vie, Sauvain, ancien village fortifié, berceau de la Fourme de Montbrison, avait été le théâtre d’un cambriolage qui a fait dire à nombre de lecteurs de la Tribune le Progrès « Sauvain, ça devient Chicago ».

"Dans la nuit de dimanche à lundi dernier, la cave d’affinage de la Fromagerie des Hautes-Chaumes a été, je cite « la cible des cambrioleurs. Ils y ont pénétré par effraction et sont repartis avec près de 280 fromages arrivés à maturation et prêts à être commercialisés. »

Qui peut avoir volé 280 fourmes de Montbrison, ces fromages typiques des Monts du Forez et bénéficiant d’une Appellation d’Origine Protégée ? Autant le vol de sacs à mains, de portefeuilles ou de portables est courant, autant le vol de fourme de Montbrison est plus rare. La Gendarmerie de Saint-Georges-en-Couzan, qui est sur les dents, a besoin de toutes les bonnes volontés, celles des amis de la Fromagerie des Hautes-Chaumes, celles du Syndicat de la Fourme de Montbrison mais également tous les amateurs de fromages à pâtes persillées. Un éventuel fournisseur méconnu pourrait proposer une importante quantité de fourmes à la provenance inexpliquée. La vigilance est de mise. Chaque consommateur doit être sollicité. Chaque consommateur, devant les étals, sur les marchés, doit interroger la fourme, ou au moins ses revendeurs. D’où vient-elle ? Qui est-elle ? Quel est son pedigree, son histoire, sa provenance ? Chaque vente douteuse doit être signalée. Le crime ne doit pas rester impuni.

D’autant que le préjudice pour la fromagerie des Hautes-Chaumes représente un manque à gagner de 10.000 euros.

Je me suis interrogé. Comment pouvais-je venir en aide à la fromagerie des Hautes-Chaumes ? En relayant nationalement l’information, c’est fait et ce n’est pas suffisant. 

J’ai constaté en allant sur le site de Radio France dans la grille tarifaire des messages publicitaires classiques que le coût d’un message publicitaire dans la tranche horaire 8h30-9h était de 11.000 euros hors taxe.

J’ai donc décidé, d’offrir sur mon temps d’antenne une publicité de trente secondes correspondant au montant du préjudice. Bien sûr, ça ne fera pas revenir les fourmes disparues, mais cela apportera peut-être une notoriété consolatrice à monsieur Hubert Tarit et son associée Christine Combréas qui, sous le choc avait déclaré « C’est comme si on nous avait coupé les jambes ».

Christine, cette publicité gratuite n’a pas d’autres intentions que de vous rendre vos jambes…

  • Une envie d’évasion ? Un désir de campagne ? La Fromagerie des Hautes Chaumes propose sa Fourme de Montbrison…
  • Seul ou entre amis, en pique-nique, pour tous les jours ou les grandes occasions, on est sûr de ne pas se tromper en choisissant la Fourme de Montbrison.
  • Tu sais quoi ? En Montgolfière d’escargots ou en bonbons acidulés, en soupe ou en terrine, la fourme de Montbrison de la Fromagerie des Hautes Chaumes, elle sait accompagner tous les plaisirs de la vie…"

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